La recherche en perliculture
Historique, organisation et programmes
Le Pays a depuis longtemps misé sur une recherche de qualité pour accompagner l’activité perlière dans son développement d’abord, puis sa pérennisation et enfin dans le maintien des critères de qualité des perles de culture de Tahiti pour faire face à la situation de mévente actuelle.
La recherche en perliculture a été mise en place dès 1990 avec le P.G.R.N. (Programme Général de Recherche sur la Nacre) suite à des mortalités massives de Pinctada margaritifera observées en 1985. De ces travaux, sont ressorties des recommandations qui ont permis au tout jeune Service de la perliculture d’organiser la recherche selon trois axes principaux :
- Dans un contexte d’anthropisation croissant, il est nécessaire d’assurer la pérennité de la ressource. Dans cet objectif, des programmes ont été menés sur :
- l’étude de l’écologie larvaire,
- l’analyse de la collecte de naissains,
- l’analyse de la variabilité génétique de la ressource,
- la conservation du patrimoine génétique,
- la préservation de l’environnement lagonaire.
- Dans un contexte de concurrence économique accrue, il faut améliorer la rentabilité des entreprises. Pour cela les recherches se sont orientées sur :
- les techniques d’écloserie et de conditionnement de reproducteurs,
- la production de naissains triploïdes,
- l’approche génomique de l’expression de la couleur,
- la sélection d’huîtres donneuses de greffons
- l’optimisation de la greffe,
- le rôle du nucleus,
- l’analyse fonctionnelle du sac perlier,
- l’analyse de l’origine des défauts de surface des perles,
- la fabrication de nucleus à partir de nacres locales,
- le marquage de la perle,
- le développement de techniques de nettoyage performant.
- Dans un contexte local et mondial de transfert d’organismes et de pathologie, il est nécessaire de sécuriser la production.
C’est autour de ces trois axes que se sont greffés différents programmes de recherches aux thématiques variées et impliquant de nombreux organismes d’état, Universités et autres laboratoires Français ou étrangers.
Le Service de la perliculture (aujourd’hui DRM) en collaboration avec des organismes de recherche tels que l’Ifremer, l’EPHE-CNRS, l’IRD ou l’UPF, a mis en place des programmes de recherches associés, regroupant plusieurs compétences sur un sujet intéressant la perliculture.
A titre d’exemple, nous pouvons citer :
- Le Groupement de recherche ADEQUA : financé par la Polynésie française et rassemblant 10 laboratoires. L’objectif de ce programme est de regrouper les efforts autour de l’amélioration de la qualité des perles de culture de Tahiti.
- Le programme de « Professionnalisation et pérennisation de la perliculture » : financé par le 9ème FED dont la partie recherche se décline en deux actions (hydroclimat et sources de nourritures de l’huître perlière Pinctada margaritifera ; modélisation de la croissance, de la reproduction et du recrutement de l’huître perlière P. margaritifera) regroupant 15 laboratoires. L’objectif de ce programme est de préserver et prédire, dans le temps et l’espace, le collectage naturel de Pintadines dans nos lagons.
- Le programme de recherche sur les ressources génétiques de la perliculture Polynésienne « REGENPERL » : financé par un contrat de projet « Etat-Polynésie française » et regroupant 4 laboratoires. L’objectif de ce programme est de préserver la biodiversité en Pintadines dans nos lagons et pérenniser le collectage, source d’approvisionnement de la filière perlicole.
Dans un contexte de crise actuelle, certaines problématiques de recherche sont liées étroitement aux préoccupations des perliculteurs. Il est donc essentiel de poursuivre les recherches et de les financer pour soutenir la filière en offrant aux professionnels les moyens de rentabiliser au mieux leur entreprise en produisant des perles de qualité dans un environnement préservé.
Le Groupement de Recherche ADEQUA
Un groupement de recherche (GDR) pluridisciplinaire nommé ADEQUA a été lancé en 2008 et concerne « l’amélioration de la qualité des perles de Tahiti », l’objectif principal étant de décrire, comprendre, améliorer les processus de greffe et la qualité des perles récoltées. Ce programme comprend les thèmes 8, 9, 10, 11 et 12.
Les études porteront sur :
- l’analyse de l’influence des principaux facteurs externes,
- l’amélioration de la qualité des nucleus,
- la description détaillée et dynamique des mécanismes biologiques de la greffe,
- la description précise de tous les défauts,
- la caractérisation de la couleur de la coquille et des perles.
En parallèle, la mise en place d’un marquage de la perle et/ou du nucleus a été abordée et des expérimentations menées sur des perles et des nucleus sont en cours.
Dans le domaine de la zootechnie, un traitement par ébouillantage des biosalissures recouvrant les nacres a été testé et s’est révélé performant, surtout pour débarrasser les huîtres perlières des autres mollusques (pipi) se fixant sur leurs coquilles.
L’objectif de la cellule Recherche et Développement est d’apporter, par la recherche, des applications utilisables par les professionnels pour par exemple :
- sélectionner des huîtres donneuses de greffons (développement de biomarqueurs pour la couleur, la croissance accélérée des perles…),
- disposer d’un nucleus de qualité (enrobage performant, nucleus reconstitué polynésien pour s’affranchir de l’approvisionnement extérieur),
- diminuer la fréquence des défauts (identifier les causes des piqûres et cerclages),
- valoriser les perles de Tahiti (marquage, spécificité locale…),
- former des greffeurs et perliculteurs polynésiens (technique de greffe et d’élevage optimisée…),
- préserver le milieu d’élevage,
- moderniser les techniques d’élevage.
Cette description non exhaustive des programmes de recherche et de développement du Service de la perliculture a un unique objectif qui est, à terme, l’obtention maîtrisée de perles de qualité dans une optique de développement durable.
Le programme « REGENPERL »
La perliculture polynésienne s’est considérablement développée au cours de ces trente dernières années. Basée sur la collecte de naissains dans une quinzaine d’atolls, elle se pratique dans une trentaine d’atolls et îles hautes des Tuamotu-Gambier et de la Société. Les nécessités de l’élevage ont conduit à des transferts massifs de populations et à l’augmentation artificielle de la taille des populations. Outre les risques sanitaires et écologiques liés à ces pratiques, les transferts des naissains collectés ont conduit à une homogénéisation des populations des atolls exploités.
Les objectifs du programme REGENPERL sont :
- d’évaluer l’impact de la perliculture sur la variabilité génétique de populations sauvages :
- en comparant les populations élevées et les populations sauvages dans des atolls présentant différentes situations (naissain collecté sur place ou importé),
- en évaluant l’importance des transferts (volume, origine, structure génétique des populations transférées).
- d’analyser les mécanismes de l’évolution de la biodiversité des huîtres perlières dans les lagons exploités:
- en analysant de manière détaillée la structure des populations de naissains dans le site atelier d’Ahe, en particulier par le suivi des cohortes de larves au cours de la phase de dispersion pélagique et par l’évaluation de la parenté des larves collectées,
- en évaluant la fécondité des populations d’huîtres en élevage et en la comparant à celle des populations naturelles.
- de proposer des solutions pour protéger la biodiversité des populations:
- par la poursuite des travaux visant à l’optimisation du collectage de naissain et à la production de naissain en écloserie, seules mesures permettant d’éviter les transferts entre populations,
- par la mise au point des techniques de cryoconservation d’embryons qui débouchera sur la création d’un conservatoire des ressources génétiques de l’huître perlière.
Écloserie Territoriale de Rangiroa
Qu’est ce que l’écloserie ?
C’est la mise en pratique d’une technique d’élevage intensive dont les infrastructures spécialisées sont chargées de mener à bien la croissance depuis l’œuf jusqu’à la taille désirée de l’espèce à exploiter, ceci grâce à un apport défini d’une nourriture produite spécialement à cet effet.
Historique de l’écloserie Territoriale de Rangiroa
Avec l’apparition des mortalités massives des populations de nacres en 1985-1986, la volonté des pouvoirs publics s’accroît et va encourager les efforts de recherche sur l’huître perlière Pinctada margaritifera.
Les premiers essais sur la reproduction ont débuté en 1985 sous l’égide de l’EVAAM, Etablissement pour la Valorisation des Activités Aquacoles et Maritimes.
Située à environ une heure d’avion de Tahiti, l’écloserie de Rangiroa est une antenne du service de la perliculture depuis 2001.
Formidable outil de recherche et développement pour les scientifiques, elle s’inscrit naturellement dans les nombreux programmes de recherches visant à améliorer la rentabilité des exploitations et pérenniser la ressource en huîtres perlières.
Mode de reproduction
Les huîtres perlières ou Pintadines sont des bivalves hermaphrodites protandres : à l’âge de 1 à 2 ans, la majeure partie des individus présentent un stade sexué mâle avant de devenir, pour un certain nombre d’entre elles, femelles vers l’âge de 4-5 ans. Des cas de retour de l’état femelle à l’état mâle, appelés inversions sexuelles, sont observés lors de stress.
Le mode de fécondation de la nacre est externe, c’est-à-dire qu’elle s’effectue en pleine eau. Sous l’influence de facteurs environnementaux (température, vent, photopériode…), les ovocytes (gamètes femelles) et les spermatozoïdes (gamètes mâles) sont libérés par les Pintadines et vont se rencontrer au gré du courant, le développement larvaire s’effectuant dans le lagon.
En écloserie, l’homme obtient la fécondation in-vitro, en provoquant artificiellement l’expulsion des spermatozoïdes et des ovocytes.
Chez de nombreuses espèces de bivalves, il s’agit le plus souvent de facteurs extérieurs, tels que la température ou la photopériode, qui déclenchent la libération presque simultanée des gamètes pour tous les individus d’une population. Un effet d’entraînement intraspécifique permet certainement de coordonner l’émission des gamètes.
Une huître perlière femelle émet en général entre 10 et 20 millions d’ovules (comptage effectué à l’écloserie, ce nombre peut cependant être plus que doublé) et un mâle plusieurs milliards de spermatozoïdes. Les émissions de la femelle ont un aspect granuleux, celles du mâle ont un aspect de laitance.
Vie larvaire
En raison de la grande variabilité individuelle et des variations dues au milieu (température, salinité et alimentation…), les stades de développement de P. margaritifera ont des durées très variables ; il en est de même pour la taille des individus.
Après fécondation, l’œuf se transforme au bout de huit heures environ en une petite larve ciliée appelée trochophore.
La larve véligère ou stade D, appelé ainsi en raison de sa forme en D, est atteinte au bout de 18 à 24 heures et est ornée d’une première coquille : la prodissoconque. Elle est munie d’un vélum ou couronne de cils qui lui permet de s’alimenter en algues unicellulaires et de se déplacer.
La coquille devient ensuite globuleuse vers l’âge de 8 à 10 jours, c’est le stade umbo (J8, 110 µm) où une deuxième coquille larvaire, présentant des stries de croissance, apparaît.
Métamorphose et développement
La métamorphose correspond au passage de la vie pélagique (en pleine eau) à la vie benthique (sur le fond ou fixé sur un support). Cette épreuve, fondamentale pour l’animal, passe par deux stades successifs.
- Le premier, la fixation, est une phase essentielle pour l’obtention des naissains : les larves de 18 à 21 jours font environ 250 µm et sont rigoureusement surveillées. L’apparition d’une tache noire surnommée « l’œil » indique l’imminence de la métamorphose et de la fixation.
Dès l’apparition de larves œillées ou d’un pied, les pédivéligères sont transférées sur les plates-formes de fixation.
- Le second stade est marqué par des remaniements physiologiques irréversibles. L’anatomie entière de l’animal se modifie. Le vélum, organe de nage, dégénère pour laisser apparaître quatre ébauches branchiales qui dorénavant assureront la nutrition et la respiration.
Le manteau se développe aussi pour former dans le prolongement de la prodissoconque une nouvelle coquille nommée dissoconque (coquille adulte).
Le naissain va ensuite ramper grâce à son pied locomoteur, pour rechercher le meilleur site pour se fixer, faute de quoi, il meurt. Dans le milieu naturel, les naissains se fixent sur les pinacles coralliens (karena) et y poursuivent leur croissance en se nourrissant essentiellement de phytoplancton.
Seule une faible proportion du jeune naissain atteint l’âge adulte, essentiellement pour les raisons suivantes :
- compétition spatiale (espace de vie, lutte pour la meilleure place) et ou trophique (nourriture) avec d’autres espèces bivalves (bénitiers Tridacna maxima ou pahua, Pinctada maculata ou pipi, Saccostrea cucullata ou kapi kapi, Arca ventricosa ou u’u, Chama sp…) mais aussi le zooplancton ;
- parasitisme par les éponges perforantes (Cliona sp), compétition spatiale avec les organismes fixés sur les coquilles (ascidies ou remu uouo, anémones ou ua’a rori, éponges , bryozoaires, hydrozoaires, autres bivalves tels que pipi et kapi kapi,…) qui peuvent affaiblir, voire tuer les nacres ;
- prédation des juvéniles due aux crabes, aux gastéropodes, aux raies (fai/faimanu), aux pieuvres (fe’e) et aux poissons tels que les balistes (oiri), tetraodon (huehue), becs de canes (oeoe/meko) ou napoléons (mara) ;
- pêche sauvage pratiquée par l’homme.
Cycle larvaire de Pinctada margaritifera
Production d’algues
En écloserie, les larves et le jeune naissain sont nourris avec un cocktail de micro-algues marines constitué de flagellés (Tetraselmis suecica, Isochrysis (T-ISO) et Pavlova lutherii) et de diatomées (Chaetoceros gracilis var AO et Chaetoceros muelleri).
Photos des différentes espèces d’algues
Ces algues unicellulaires sont produites en culture intensive close avec un éclairage artificiel
Les souches d’algues sont conservées dans des tubes et sont régulièrement repiquées
Elles sont ensemencées dans des volumes croissants d’eau de mer avant d’être distribuées dans les bacs larvaires